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André COMPTE-SPONVILLE « Quant à la solitude Â»

 

Quant à la solitude, c’est évidemment notre lot à tous :

le sage n’est plus proche de la sienne que parce qu’il est plus proche de la vérité.

Mais la solitude n’est pas l’isolement : certains la vivent en ermite, certes, dans une grotte ou un désert, mais d’autres, aussi bien, dans un monastère, et d’autres encore – les plus nombreux – dans la famille ou la foule…

Être isolé, c’est être sans contacts, sans relations, sans amis, sans amours, et bien sûr c’est un malheur. Être seul, c’est être soi, sans recours, et c’est la vérité de l’existence humaine. Comment serait-on quelqu’un d’autre ? Comment quelqu’un pourrait-il nous décharger de ce poids d’être soi?

« L’homme naît seul, vit seul, meurt seul », disait le Bouddha. Cela ne veut pas dire qu’on naisse, vive et meure dans l’isolement !

La naissance, par définition, suppose une relation à l’autre : la société est toujours déjà là, l’intersubjectivité est toujours déjà là, et elles ne nous quitteront pas. Mais qu’est-ce que cela change à la solitude ? 

Dans les Pensées, de même, lorsque Pascal écrit: « On mourra seul », cela ne veut pas dire qu’on mourra isolé.

Au XVIIème siècle, ce n’était presque jamais le cas ; dans la pièce où l’on mourait, il y avait ordinairement un certain nombre de personnes : la famille, le prêtre, des amis… Mais on mourait seul, comme on meurt seul aujourd’hui, parce que personne ne peut mourir à notre place. C’est pourquoi aussi l’on vit seul : parce que personne ne peut le faire à notre place. L’isolement, dans une vie humaine, est l’exception. La solitude est la règle. Personne ne peut vivre à notre place, ni mourir à notre place, ni souffrir ou aimer à notre place. C’est ce que j’appelle la solitude : ce n’est qu’un autre nom pour l’effort d’exister.

Personne ne viendra porter votre fardeau, personne. Si l’on peut parfois s’entraider (et bien sûr qu’on le peut !), cela suppose l’effort solitaire de chacun, et ne saurait – sauf illusions – en tenir lieu. La solitude n’est donc pas refus de l’autre, au contraire : accepter l’autre, c’est l’accepter comme autre (et non comme un appendice, un instrument ou un objet de soi !), et c’est en quoi l’amour, dans sa vérité, est solitude.

Rilke a trouvé les mots qu’il fallait, pour dire cet amour dont nous avons besoin, et dont nous ne sommes que si rarement capables : « Deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre »… Cette beauté sonne vrai. L’amour n’est pas le contraire de la solitude : c’est la solitude partagée, habitée, illuminée – et assombrie parfois – par la solitude de l’autre. L’amour est solitude, toujours, non que toute solitude soit aimante, tant s’en faut, mais parce que tout amour est solitaire. Personne ne peut aimer à notre place, ni en nous, ni comme nous. Ce désert, autour de soi ou de l’objet aimé, c’est l’amour même.

« L’amour la solitude »

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